Cet article est extrait de l'Histoire de la Guyenne, par Charles Dartigue, ouvrage publié en 1950 par les Presses Universitaires de France dans la collection Que Sais-je? (n°424) Il en forme quasiment tout le premier chapitre. Le second chapitre, qui nous intéresse également puisqu'il parle de la romanisation de la Guyenne, et donc de la destruction de son tissu social gaulois, fera l'objet d'articles ultérieurs.
Le pays, les origines
Le pays. - La Guyenne ne constitue pas d'unité historique. Les pays qui s'y rattachaient au point de vue administratif sont extrêmement disparates. Pour la première fois, en 1259, le traité de Paris qui termine la lutte entre les Capétiens et les Plantagenêts désigne sous le nom de Guienne, altération irrégulière du terme "Aquitaine", l'ensemble des domaines du roi d'Angleterre, c'est-à-dire : le Bordelais, le Périgord, le Limousin et le Quercy. [...] Les "pays de Guienne" se distinguent des régions environnantes par quelques caractères communs : 1° Leur climat, encore océanique malgré l'altitude, même dans la majeure partie du Rouergue; 2° Leur drainage qui s'effectue à peu près entièrement par la "gouttière" de la Garonne; 3° Leur type d'activité, principalement agricole, avec prédominance de culture nourricières : pommes de terre, seigle, blé, vigne; 4° La présence d'une métropole, Bordeaux, point de convergence de vallées, ainsi que nœud de routes et de voies ferrées.
La Préhistoire
Le peuplement de la Guyenne est extrêmement ancien. L'apparition de l'homme y remonte à des millénaires. On peut dire que la vallée inférieure de la Vézère, avec les nombreux gisements des Eyzies est l'un des berceaux de notre race. Certains plateaux du Bergeracois et du Sarladais, les environs de Léojac, en Bas-Quercy, quelques points au Nord de Villefranche-du-Rouergue, notamment autour du château de Lacaze, quelques autres du Causse Comtal, près de Salles-la-Source possèdent encore des instruments de silex, gros et lourds, taillés sur les deux faces, les seuls qu'étaient capables de façonner l'homme de la période chelléenne.
La période suivante, froide et humide, oblige les populations à) se terrer dans des abris naturels et à pourchasser des bêtes pour s'habiller de leurs peaux : de là, de nouveaux outils : le racloir, le perçoir et la scie[...]
Mais le climat s'étant radouci, l'homme, moins artiste que durant la période précédente, devient plus industrieus : ses outils se perfectionnent. Il devient pasteur, éleveur, agriculteur. Il s'établit sur la côte atlantique, le long des étangs d'Hourtin, de Lacanau, d'Arcachon, dans l'Entre-deux-Mers, notamment dans la vallée de l'Engranne, dans l'Agenais sur les coteaux de la rive gauche de la Garonne, à St-Marial et à Bressols, autour de Montauban, sur les Causses du Larzac, de Séverac, de Villefranche, comme sur le Comtal ou sur le Causse Noir. C'est que dans ces dernières terres du Rouergue, le sol est apte à la culture du blé et donne aux troupeaux de bons pâturages. Vivant plus nombreuses, les populations se déplacent et entrent en relations commerciales. Elles accèdent ainsi au Massif Central comme aux Pyrénées par des pistes dont le tracé sera partiellement suivi par des voies romaines. La grande voie de la Téranèse qui conduisait de la Garonne jusqu'aux cols de la vallée d'Aure, le chemin qui, suivant la vallée de la Lémance, menait à la Vézère et au Limousin, étaient des routes de cette nature.
Cependant, à mesure qu'on avance dans le temps, la vie sociale s'organise. Les populations se groupent dans des villages et pratiquent le culte des morts. Il reste encore aujourd'hui les vestiges de beaucoup de monuments voués à la mémoire des disparus et à l'honneur des "Génies" ou de la "Terre Nourricière" : dolmens, nombreux dans le Quercy et les alentours de Tournon et de Villeneuve, menhirs ou "pierres plantées" de la Pierre Sourde près de Lauzerte, de Mareuil, d'Excideuil, de Tocane-Ste-Apre, en Périgord, cromlechs, tel celui de Savignac-les-Eglises, sur l'Isle, tumulus recélant des urnes cinéraires ou des cendres déposées au milieu des pierres dont sont constituées les tombelles avec un mobilier trop souvent le même : pointes de flèches et de lames en silex, rares haches polies, poignards de cuivre ou de bronze, outils, objets de parure enfin. Il semble que la période du Bronze continue les temps de la "civilisation dolmenique" : des restes de monolithes et de "statues-menhirs" aux formes de plus en plus perfectionnées avec à côté un mobilier soit lithique, soit en cuivre des plus remarquables se retrouve entre St-Affrique, au Nord, et les monts de Lacanne, au Sud, notamment depuis Pousthomy à l'extrémité Sud-Ouest du Rouergue, jusqu'à Massuguiès en Albigeois.
Les Ligures. - Au VIème siècle avant notre ère, la région qui nous occupe était habitée par une population de même nature que celle des autres parties de la Gaule : les Ligures. Ils étaient surtout unis par la langue. Ainsi que l'a dit Julian, "le nom de Garonne (Garunna) vient de gar" : hauteur (il y a un pic de Gar, au-dessus de St-Béat) et "onna" : eau (Onne, affluent de la Pique, près de Luchon), est le nom générique de tous les ruisseaux du Midi; la "Divona" de Bordeaux se retrouve à Cahors; l' "Audège" bordelaise, appelée au Moyen-Âge "Oldeia" est la même chose que le Lot (Oltis).
Au Vème siècle, les Ibères, venus d'Espagne, et possédant déjà une civilisation avancée, envahirent le pays située entre les Pyrénées et la Garonne. Ils refoulèrent les Ligures dans les régions les plus infertiles de la c^$ote océanique. Menant une existence moins précaire que les populations par eux évincées, les Ibères étaient des agriculteurs habiles. Ils se groupaient dans des villages fortifiés. Ils exploitaient les gisements miniers. En relations étroites avec leurs parents d'Espagne, ils connurent de la sorte les avantages de la monnaie et ceux de l'alphabet.
Les Celtes . - Originaires du Danemark et de la Germanie située entre le Rhin et l'Elbe, chassés peu à peu : soit par des envahisseurs qui s'étaient infiltrés vers le Nord-Ouest par la vallée du Danube et qui probablement connaissaient le fer, possédaient la supériorité de l'armement, soit par des raz-de-marées qui 's'étaient produits sur les rives de la Baltique, les Celtes passèrent en Suisse, et par delà les pays situés sur la rive gauche de la Meuse et de la Saône. Leurs migrations se firent progressivement. Finalement, les nouveaux venus, quand ils se trouvèrent en nombre, traversèrent la Seine et la Loire, descendirent les pentes du Massif Central et constituèrent la Celtique, vaste cercle de 125 lieues de diamètre dont, pense Jullian, "les rayons finiraient vers Rodez, Saintes, Angers, Rouen, Soissons, Lyon, Besançon et dont Bourges marquait le centre." Durant les premières décades de leur installation, les nouveaux venus utilisent encore exclusivement le bronze, notamment le poignard et la hache venue de Bohème. Cependant, vers l'an 1000 avant notre Ere, l'incinération se substitue à l'inhumation. Surtout la longue épée de fer depuis Hallstadt (Haute-Autriche) apparaît ensuite partout où il y a des "ferrières", en attendant qu'après 350 environ, l'épée de la Tène (Suisse) utilisée, lorsque la cavalerie se substitue au char de combat, devienne, jusqu'au siège d'Alésia, l'arme favorite.